J’ai beaucoup hésité avant de me lancer dans cet article, car il aborde un des pire tabou qu’il existe dans notre société. Il y a quelques jours de cela, je discutais avec une amie, à qui je disais que je me sentais très seule, mais bon qu’au fond j’avais toujours eu ce sentiment de solitude… Et là, elle a eu l’air réellement surprise, car une mère ne devrait pas pouvoir ressentir ça, l’amour pour son enfant devrait prendre toute la place et combler tous les vides.

Peut-on aimer son enfant et détester son rôle de mère ? Si je déteste cette prison dans laquelle la maternité m’a enfermée, est-ce que c’est mon propre fils que déteste ?

Etre mère, dans notre société moderne, ça ne crée pas de liens, ça en brise. J’ai perdu mon travail (qui a dit qu’on ne pouvait pas être licenciée pendant le congé mat ?), j’ai perdu tous mes amis (à coup de “ah non là je peux pas , le petit est malade”, “attends, je te rappelle plus tard…”, “désolée faut que je te laisse, il est réveillé” un message involontaire finit par passer : elle n’a pas le temps, il ne faut plus lui parler). Mon cercle s’est réduit à tel point que maintenant les deux minutes de conversation avec la boulangère sont devenues une interaction sociale rare et précieuse. Alors bien sûr il y a ma mère, ma mère qui vient garder Baptiste les après-midi ou je travaille. Mais ce n’est pas une solution agréable pour moi. C’est bien pour lui, il est choyé, il fait sa sieste à son rythme, il est dans son cocon de presque encore bébé… mais moi je suis dépossédée de mon rôle de mère, infantilisée par la présence de ma propre maman qui, malgré mon âge, me traite toujours comme une adolescente. Si on ajoute à ça un sentiment de jalousie que je n’ai jamais connu avant (je suis fille unique), on obtient un mélange détonnant de frustrations diverses.

Mais finalement, ce qui me pèse plus encore (je n’ai jamais été un être très sociable) c’est que j’ai perdu ma liberté. Mes libertés je devrais dire. Physiquement, j’ai l’impression d’être en train de purger ma quatrième année de prison… Dehors il y a un soleil magnifique, j’ai envie de sortir, de me promener, de rêvasser en écoutant les oiseaux chanter. Et je suis là, assise dans mon bureau, à regarder par la fenêtre la vie qui se déroule au dehors, sans moi. Je suis coincée entre quatre murs, à attendre en silence que la sieste se termine. Et quand la sieste sera terminée, je devrais ravaler mes envies et reprendre ce rôle de mère-parfaite, sourire quand j’ai envie de pleurer, lire des histoires quand j’ai envie de me taire, sauter comme un kangourou quand j’ai envie de rester assise. Et le tout en étant rongée par la culpabilité : pourquoi est-ce que je n’arrive pas à éprouver de bonheur dans tout ça ?

Ma prison morale est invisible, intangible et pourtant bel et bien là : je la transporte avec moi partout où je vais, à chaque minute de mon existence. Depuis l’instant où j’ai su qu’un petit être grandissait en moi, j’ai ressenti de la peur. Peur pour lui, si fragile. Quand on est de nature anxieuse ET pessimiste, la maternité c’est en premier lieu un sentiment d’angoisse absolument permanent, qui pèse, et qui pèse lourd. Est-ce qu’un jour il s’envolera, s’allégera ? Je ne crois pas. Je dois apprendre à vivre avec, le temps de l’insouciance où je n’étais responsable que de ma petite personne est à jamais révolu.

Maintenant que vous avez vu à quel point je suis une horrible mère, je vais tenter de répondre sincèrement à la question. Si c’était à refaire, en sachant tout ce que je sais, est-ce que je le referais quand même ? J’ai beaucoup réfléchi, et sincèrement j’ai hésité. Et je crois que finalement – je dois être un peu maso – je répondrais oui. Ma vie est beaucoup plus compliquée qu’avant. Très souvent, elle est moins agréable, satisfaire les besoins primaires (dormir/manger) n’est jamais garanti, alors la nourriture spirituelle… Mais cette vie, aussi imparfaite soit-elle, cette vie à un sens. C’est un combat, mais je sais pourquoi je le mène (par contre, je n’ai aucune envie de rempiler, un enfant, c’est bien assez pour moi – il faut savoir admettre ses limites).

Pour les mamans ayant eu un bébé RGO, les difficultés ont tellement pris le pas sur les rares instants de bonheur que même quelques années plus tard quand tout va bien, rien n’est vraiment léger (on n’oublie jamais… l’enfant reste marqué par son début de vie dans la souffrance, et les parents bien plus encore : on n’est pas programmés pour regarder son enfant hurler de douleur du soir au matin en étant impuissant).

Si un jour vous croisez une mère qui vous dit regretter, ne la juger pas. “Le plus beau métier du monde” est une image d’Epinal, la réalité qui se cache derrière est “la plus grande épreuve de l’existence“. Et ça, ce serait peut-être bien d’oser le dire haut et fort, pour qu’on arrive dans cette bataille correctement préparées. Si j’avais su tout ça avant, et bien peut-être que tout se serait simplement passé différemment. Peut-être que je ne me serais pas sentie aussi dépassée, aussi nulle… et peut-être que j’aurais pu porter sur mes errements de jeune mère un regard moins dur.

La course à la réussite et l’incroyable pression que la société mets sur les mères de ma génération est une véritable perfusion de poison. Montessori, bienveillance… autant de difficultés qui s’ajoutent à un cheminement déjà pas facile.

Regardons en arrière.

Quand j’avais l’âge de Baptiste, je n’avais pas de ceinture de sécurité dans la voiture (alors un siège auto dos à la route !), je prenais des coups de soleil monumentaux, je me cramais les yeux à la mer, je ne portais pas de casque à vélo, aucune protection en patins à roulette, je vagabondais seule dans le jardin – voir même la rue parfois puisque j’habitais une impasse sans circulation. La sécurité c’était un peu à l’arrache et ça n’encombrait pas vraiment l’esprit de nos parents. Un poids de moins.

Je ne savais pas écrire mon prénom à 3 ans et demi (ni à 4, ni même à 5…), je ne savais en vérité pas grand chose à l’âge de la maternelle et je le vivais bien. Pas de course à la réussite, et malgré tout j’ai été une enfant curieuse, vive d’esprit et je m’en suis pas trop mal sortie dans les études. Et hop, encore un peu de pression qui s’envole.

Je regardais des dessins animés absolument pas de mon âge auquel je ne comprenais rien du tout (genre Albator), j’avais le droit de jouer à l’ordinateur autant que je voulais (okay, en 1985 c’était limité à snake et frogger sur un écran monochrome). Et là d’un coup, je comprends comment ma mère arrivait à cuisiner. Sur ce point j’ai lâché prise, j’utilise désormais la nounou-télé pour préparer mon repas du soir – décision prise après avoir fait pour la nième fois brûler mon dîner pour accourir suite à des hurlements en provenance de la chambre du monstre.

J’étais privée de dessert, envoyée dans ma chambre, je me suis aussi pris quelques (rares) fessées. J’étais priée de me taire et de laisser les adultes parler, d’aller jouer plus loin (et de jouer seule !). Je n’étais pas le centre du monde. Et là on touche au cœur du problème à mon avis. Avant, les mères avaient le droit d’exister, alors que maintenant le simple fait d’avoir envie de faire quelque chose rien que pour soit est considéré comme une preuve de désamour.

J’aurais envie de conclure que les mères qui vivent à ce point mal le fait d’être mère sont finalement celles qui ont le plus envie d’être de bonnes mères, dans une société où cela comporte tellement de contraintes que cela est devenu contraire à son propre épanouissement. A moins de trouver son plaisir dans l’abnégation (et visiblement beaucoup y arrivent), il faut urgemment apprendre à lâcher prise !

5 commentaires

  1. J’ai été très touchée par ton message.
    D’autant plus que j’éprouve à peu près la même chose…

    Je t’écris ailleurs qu’ici bientôt.

  2. Merci, je me sens moi seule…. difficile de parler de ça avec les gens qui nous entourent et quand on essaie d’aborder le sujet on est de suite jugée.
    Je vais aller parcourir votre blog, venue pour les notions de poutre du temps je suis tombée sur cet article….

  3. Merci pour cet article sain et salutaire. Ça fait du bien de te lire, merci d avoir osé. Je suis persuadée que nous sommes nombreuses à ressentir cela. Toute cette pression provenant de l éducation bienveillante, positive, les blogs et temoignages de maman, ce monde de bisounours … c’est épuisant. Encore merci.

  4. je me suis tellement reconnue. j’entends mon mari me dire “pourquoi tu en veux un deuxième puisque tu souffres déjà autant”. alors oui, c’est vrai, on aime ces petits bouts de nous mais ça ne nous empêche pas d’avoir des sentiments ambivalents et on devrait avoir le droit de le crier haut et fort! merci pour votre article.

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