Après avoir vu fleurir partout sur les blogs des commentaires élogieux sur la méthode Dumont, j’ai naturellement eu envie d’en savoir plus. J’ai acheté les livres, j’ai lu, j’ai expérimenté. Et j’ai déchanté…
Ayant des hésitations, j’ai décidé de contacter directement Mme Dumont, qui est très active sur internet et qui m’a répondu dans l’heure. Et là que de violence dans ses propos, que d’intransigeance ! A la limite de l’insulte parfois, avec un ton péremptoire et moralisateur.
La méthode doit être suivie à la lettre, au millimètre, pas moyen d’y déroger, aucune exception n’est tolérable. Il n’y qu’une et une seule manière de tenir correctement son outil scripteur et il faut forcer l’enfant à s’y conformer. Ou l’adulte. Elle m’a clairement dit que ma tenue quadripode était une déviance qu’il était nécessaire de rééduquer (alors que j’écris correctement, rapidement, sans douleur ou fatigue et qu’en dessin on me dit souvent que j’ai un “bon coup de crayon”). Devant ma réticence, la prise tripode me faisant mal au majeur (le crayon marque la zone en quelques minutes), elle m’a proposé de contacter SOS main pour me faire soigner (c’est un service d’urgence quand même… il faut raison garder quand même !). M’ayant insufflé un doute (après tout mon doigt a été écrasé dans une portière quand j’avais 3 ans) j’ai décidé de mener l’enquête. On peut être antipathique mais avoir raison.
Première surprise, la prise tripode est loin d’être aussi universelle que ça. Énormément de personnes ont une prise quadripode mature fonctionnelle, sans la moindre gène. Sur plus de 20 témoignages que j’ai pu récolter en quelques heures à peine, seules 2 personnes ont eu des douleurs et ont dû modifier leur tenue du crayon au cours de leur vie. Leur prise était, en tout cas sur les photos, d’apparence très crispée, avec une pression importante du crayon sur l’annulaire. Ça ne ressemble pas à ma prise, ou je peux quasiment me passer de l’annulaire, qui ne subit aucune pression. Après observation minutieuse de la prise de mon loulou et questionnement, il en ressort que lui aussi a la sensation d’utiliser surtout les 3 doigts pour guider et que le quatrième a un rôle minime. Je cite : “Je crois que je pourrais presque l’enlever (et là il le replie complètement sans que le crayon ne bouge), mais j’aime moins. Je préfère comme ça (avec)”.
Je continue mon enquête auprès des prises tripodes de mon entourage… seconde surprise, tous n’ont pas la prise recommandée. Mon mari par exemple a le majeur en appui par la “pulpe” du doigt. Ce qui fait que pouce, index et majeur sont rigoureusement posés au même endroit que mes propres doigts. La différence est seulement que les deux doigts inutiles sont pliés alors que moi je viens les poser sous les autres, dans un contact que je trouve “rassurant”.
J’ai donc commencé à regarder des photos de gens en train d’écrire et il s’avère que ce tripode par la pulpe est incroyablement répandu chez les enfants. Sur énormément de photos, des enfants de 3/6ans présentent cette prise du tripode légèrement différente, ou carrément la prise quadripode, acquise naturellement.
Je remonte d’une génération et je trouve enfin des gens avec la prise “à la Dumont” et la troisième surprise, de loin la plus grosse : ils ont développé une cale sur le majeur, voire une déformation. A la question “Et ça ne gène pas ?” “Oh si, ça fait un peu mal au bout d’un moment, mais c’est normal, écrire longtemps, ça fait mal”. Je suis tombée des nues. Normal d’avoir mal en écrivant ? Mais non non non !
Suite à mes conversations Facebook sur le sujet, j’ai été contactée par beaucoup de personnes (essentiellement des professeurs des écoles) qui se posaient aussi beaucoup de questions sur ce sujet et avaient des doutes quant au fait de devoir forcer ou non les enfants. Nous avons échangé, de manière très instructive, sur nos différents observations et questionnements (j’ai fait de belles rencontres au passage !) Parmi ces personnes nous avons, entre autre, une maîtresse qui ne prends son crayon “comme il faut” que quand les élèves regardent (merci pour cette franchise de témoignage), une autre qui m’a avoué avoir une cale douloureuse sur le majeur et qui se pose donc la question de savoir si de fait c’est réellement une bonne préhension, et d’autres encore.
Moi qui pensais que la prise enseignée à l’école était sans conteste la plus répondue et la plus appréciée, je découvre une toute autre réalité. Je commence sérieusement à me poser la question de la VEO dans cette démarche, ou la sensation de douleur est niée au profit d’une norme. Norme basée sur le fait que la prise quadripode serait source de tendinites (impossible de dater l’apparition de cette recommandation ou de trouver une étude attestant ce point).
L’idée me titille… et avant ? Me voilà partie à la recherche de témoignages du passé. Il y a longtemps, vraiment longtemps, comment écrivait-on ? La prise tripode est-elle liée à une spécificité de la tenue d’une plume ou d’une plume d’oie ? Explorons les tableaux anciens… pour parvenir à ma quatrième surprise, et pas des moindres. Sur les tableaux, je découvre avec étonnement des prises tripodes incorrectes, avec la pulpe du majeur !
Dame écrivant une lettre et sa servante par Vermeer (1671)
Portrait de Molière à la plume d’oie par Charles-Antoine Coypel (1730)
Portrait de Boileau à la plume d’oie par Hyacinthe Rigaud
Et ailleurs, il se passe quoi ? Le seul outil scripteur autre que le crayon que j’ai en tête est le pinceau de calligraphique. Je ne sais pas si la comparaison est pertinente, car le poignet est levé. Mais les doigts touchent là aussi le manche du pinceau avec la pulpe, 3 doigts guident et l’annulaire offre un point d’appuit léger. J’ai fait un peu de calligraphie et cette posture est pour moi parfaitement naturelle car il me suffit de tourner le poignet pour l’obtenir : mes doigts sont déjà positionnés de manière similaire quand j’écris.
(image provenant de entre-cielterre.fr )
Mais alors ? Et si les enfants avaient naturellement raison ? Et si, comme le préconisait Maria Montessori, nous prenions le temps d’observer et d’apprendre au lieu d’imposer ? Pour ma part, j’ai décidé de laisser mon fils libre de gérer sa prise du crayon en fonction de ses sensations. Je veille juste à ce qu’il garde une prise souple et non crispée. L’échange que j’ai eu avec l’ergothérapeute canadienne Josiane Caron Santha (dont je vous recommande vivement les vidéos) me conforte dans ce choix. Voici sa réponse : “Si l’écriture est fonctionnelle (belle qualité, bonne vitesse, confort, bonne lisibilité) modifier la prise du crayon à quatre doigts est inutile.”
Voilà pour le volet “tenue du crayon”. Mais j’ai encore beaucoup à dire sur le reste de la méthode… je referai prochainement un autre billet ;)
Edit 04/06/2018 : *pressions exercées pour censurer les propos de Mme Dumont qui allaient dans le sens de mon analyse*
Edit 03/06/2018 : je rajoute un extrait du livre de Maria Montessori Pédagogie scientifiques, tome 1 : la maison des enfants
[…] il s’agit de la tenue de la plume ou du crayon qui doit se serrer avec trois doigts de la main et se mouvoir de haut en bas, avec cette sûreté que nous appelons l’élan de l’écriture […] A trois ans, les enfants déplacent les cylindres des emboîtements solides en les tenant avec trois doigts par le bouton, qui a sensiblement les dimensions d’un petit bâton pour l’écriture . […]
De ce que j’en comprends, la tenue du crayon doit ressembler au geste sur le bouton de préhension d’un puzzle. Trois doigts, qui manipulent par la pulpe ou l’extrémité du côté de la phalange. A priori ça ne correspond pas à appui haut proche de l’articulation, il ne s’agit donc pas de la même posture que celle de la méthode Dumont.
En testant tout ça, j’en viens à me demander si je n’ai pas développé une prise quadripode *à cause* de la forme des crayons, qui, octogonaux, place le majeur ainsi positionné pile sur une arrête (ce qui est rapidement source d’inconfort). Avec un crayon rond je peux sans problème disposer 3 doigts de manière similaire à la position du bouton de préhension (par contre avec cette prise je dessine comme une patate, le crayon gagne en mobilité et rapidité dans le geste haut-bas, ce qui correspond à la description, mais n’est pratiquement plus capable de se déplacer latéralement : au delà de quelques mm – soit approximativement la largeur d’une lettre – il faut faire appel au déplacement du bras, avec toute la perte de précision que ça engendre)
Est-ce que la prise du crayon est parfois étudiée pour le dessin ou est-elle toujours vue par le prisme de l’écriture ? C’est une question que j’aimerais poser à des ergothérapeutes.
Voici aussi le lien vers un document qu’on m’a montré, que je trouve très intéressant et qui pour une fois prends le temps de décrire les autres prises matures fonctionnelles.
Merci pour ce retour, entendre parler de cette méthode partout commençait a me faire peur. Même si mon fils est encore jeune ( 4 ans) il en vient seulement a utiliser vraiment un crayon. ” mal ” bien-sûr, quatres doigt et au dessus et le poignet en l air.. Tout cela commençait a m’inquiéter et ça me rassure même si je prendrais garde qu’il n’est pas de gene. Merci
Le poignet en l’air pour le coup ça peut vraiment être problématique pour la précision du tracé, mais le fait de poser la main arrive relativement tard, après 4 ans pour le mien. Il faut leur laisser le temps d’être des enfants avant d’en faire des élèves scripteurs… pour le coup en Waldorf on repousse cette étape à l’âge tardif de 7 ans, avant seules les formes, les graphismes (ponts, boucles) et les lettres bâtons sont enseignées. Il y a peut-être du bon sens…
Quel ensemble diffamatoire. !
Des propos violents? C’est vous qui les tenez Madame.
Un détail SOS main n’est pas un service d’urgence mais un groupe de chirurgiens de la main.
Je ne relèverai pas le reste il dépasse tout entendement.
Une précision au sujet de SOS main. Il est possible que chez vous ce soit un service d’urgence. Dans ma région ce n’est pas le cas. J’ai eu l’occasion de m’y faire opérée. une amie également. Plusieurs personnes que je connais aussi. Ils m’ont envoyé en rééducation des personnes opérées par leurs soins.
Il se trouve que je connais personnellement l’un des anciens chirurgiens.
Dans ma région SOS main reçoit aussi des urgences mais est très loin de ne recevoir que des urgences.
Merci pour cet éclairage nouveau, vos propres ressentis vis à vis de la tenue du crayon sont donc ceux d’une personne ayant eu besoin d’être opérée. C’est intéressant.
Je suis ergo et je valide complètement votre article !! L’écriture est une activité qui doit être fonctionnelle : tant que la personne est à l’aise, on ne touche à rien ! et la prise quadripode est enseignée aux USA et par Montessori par exemple. Je suis choquée par le terme de “deviance”…
Je tiens mon crayon “comme il faut” et en effet, j’ai tendance à avoir cette cale qui me fait mal au bout d’un certain temps. Mon mari tient son crayon comme le tiens, avec la pulpe du majeur. Tu te doutes que l’école l’a beaucoup embêté avec ça… Ce à quoi sa mère répondait “il écrit correctement, c’est tout ce qu’on lui demande non ?!”. Il a une drôle de façon de tenir son crayon qui surprend toujours, mais on le lit (enfin sauf quand il écrit vraiment trop mal, mais ça c’est le cas de tout le monde ahah), c’est le principal. Mes filles tiennent “bien” leurs crayons, mais si elles “déviaient”, il est certain que je m’acharnerai jamais là dessus !
Je tiens mon crayon “parfaitement” et ce depuis l’enfance….et mon majeur est déformé (ainsi que mon oncle) don j’essaye de guider mon fils pour qu’il ait une tenue confortable de son crayon mais je n’impose rien.
Hum pas “mon oncle” mais “mon ongle” bien sûr !
En temps que psychomotricienne je suis absolument d’accord avec l’idée de laisser à l’enfant sa prise de l’outil si celle ci est fonctionnelle (je ne modifie que quand des douleurs sont évoquées ou si la prise limite le geste de façon plus importante). J’ai lu le livre de Daniele Dumont, je trouve effectivement dommage ce manque de souplesse alors qu’en soi, le livre apporte des éléments intéressants…
Je trouvais les messages de Mme Dumont souvent hautains, méprisants et malpolis.
Je suis rassurée de voir que je ne suis pas la seule à l’avoir relevé…
A vous lire, il semblerait que vous n’ayez pas du tout compris ce qu’est là méthode Dumont. Plongez vous dans son livre, lisez le plusieurs fois si besoin ( il est vrai qu’on n’en comprend pas forcément tout à la première lecture !) La dernière édition contient beaucoup d’exemples qui vous éclaireront !
Les activités préparatoires à l’ecriture sont nombreuses, chaque élève avance à son rythme… je connais bien la méthode, qui est incroyablement efficace en classe et je ne la reconnais pas dans votre description calomnieuse!
Ne pas approuver ne signifie pas ne pas avoir compris… Ça peut aussi signifier avoir assez d’esprit critique pour ne pas suivre bêtement une simple mode.
Aucun de nous ne suit bêtement cette méthode, je vous rassure!
On la suit car justement elle est intelligente, et d’une incroyable efficacité! Vos commentaires montrent une mauvaise comprehension.
Relisez le livre… je vous assure qu’une simple lecture ne suffit pas. Il faut lire, relire, et expérimenter…
Quelle surprise de vous lire, je suis tellement peinée de lire votre article et vos commentaires. Quelle colère vous anime donc ? Je suis enseignante. Dans ma classe de 27 élèves, seulement 5 élèves tiennent “Correctement” leur crayon. Je peux vous assurer que pour les autres, le geste d’écriture manque de fluidité, ne tient pas la ligne, marque un appui trop ou pas assez important ou crée des douleurs du fait de la mauvaise tenue ou de la compensation par le reste du corps. J’essaie de modifier ces tenues de crayon au maximum en étant je l’espère attentionnée et bienveillante. Lorsque les enfants s’emparent de cette nouvelle tenue et la posture qui en découle, ils disent qu’ils ne referaient plus comme avant. Je ne saisis pas ce qui déclenche autant d’animosité envers Danièle Dumont. Ce qui est certain c’est que cette personne m’a personnellement beaucoup aidée à reprendre confiance en moi, j’avais fait le vide et elle m’a abreuvée de son savoir, de ses recherches de sa quête permanente de trouver le mieux pour les enfants ( et les plus grands en difficulté). Ce livre est l’aboutissement de ses 30 années de recherche. Je comprends parfaitement que sur un encodage procédural, on ne puisse dévier un tant soit peu de la trajectoire au risque de créer des “parasites” dans l’apprentissage.
Je lui suis personnellement reconnaissante de tout cela et ne remets pas en cause sa thèse puisque cet apprentissage fait ses preuves dans de nombreuses écoles à travers le monde.