Je continue d’exposer mes réflexions à propos de la méthode Dumont appliquée à des élèves de maternelle. A l’ouverture du livre “Le Loup“, indiqué pour les enfants de maternelle à partir de la petite section, j’ai découvert avec effarement que les pages étaient couvertes d’exercices demandant à l’enfant de manipuler des mots contenant des phonèmes complexes. Première page, première phrase : “le loup est caché”. Ou, ch et le mot-outil est, si je ne me trompe pas ça correspond à la deuxième période du CP. A leur stade d’avancement dans la lecture en maternelle, il est impossible qu’ils puissent comprendre le sens de ce qu’ils recopient, découpent et collent. Ils ont besoin de l’adulte pour leur lire et ne vont donc pas écrire un mot, mais recopier une graphie – vide de sens. C’est à l’ancienne, de simplement apprendre par cœur, tellement contraire à l’esprit Montessori qui me tiens à cœur que je ressens une grosse déception.
Comment peut-on envisager l’enfant tour à tour dans une même journée comme un “élève scripteur” ou un “élève lecteur” ? Il s’agit bel et bien de petits êtres humains complets, cohérents, qui font naturellement un travail interdisciplinaire constant. Bien sûr les jeunes enfants non lecteurs sont exposés à des écrits qu’ils ne comprennent pas tout au long de la journée, mais on ne leur demande jamais de les manipuler spécifiquement.
Ce manque de compréhension des mécanismes d’apprentissage chez les enfants est à mon sens source par moment d’erreurs de jugement. Sur la photo d’une petite fille traçant des boucles cassées (aplaties), elle va déclarer d’un ton péremptoire que la cause du défaut d’écriture est la mauvaise position du poignet qui ne repose pas sur la feuille (honnêtement impossible de juger sur une photo prise par le dessus, je ne saurais dire si il y a contact ou pas). Et que ce problème est directement lié, en partie ou en totalité, à l’écriture dans le sable proposé dans la pédagogie Montessori (qu’elle a visiblement en horreur). Quand on connait un peu le raisonnement des enfants, on remarque instantanément que les boucles sont cassées le long du lignage Seyes (dont je trouve l’utilisation vraiment prématurée à 5 ans, les enfants n’ayant pas encore eu le temps de travailler suffisamment les muscles de leur main pour avoir un contrôle précis en petit sans un effort colossal). Mon interprétation, certes de simple maman passionnée de pédagogie, est que cette petite fait donc ce qu’elle peut pour être au plus proche de la consigne : respecter la limite de la ligne. Je suis prête à prendre le pari que sans lignage supérieur, ses boucles seraient à nouveau joliment rondes…
Interloquée par son injonction à bannir le tracé dans le sable car il se fait poignet levé, je lui demande si il faut également supprimer les tableaux à la craie et les pinceaux, eux aussi utilisés avec le poignet levé. Et là, surprise, non pas du tout. Parce que la préhension d’un craie se fait sans mobiliser les doigts (et du coup… là ça ne risque pas d’entraîner l’enfant à bouger le bras à la place des doigts ?) et le pinceau est un outil qui se manipule différemment (Ah ? Moi je le tient pareil pourtant… et franchement l’absence d’outil quand on trace du bout du doigts, c’est pas justement un truc encore plus différent que le pinceau ?) Une réponse exempte de cohérence, que j’ai du mal à suivre. Mais soit, de toute façon le loulou déteste le contact avec le sable, il n’a jamais voulu y tracer la moindre lettre, je ne suis pas directement concernée.
Je continue donc à avancer dans la méthode, le premier cahier ne contenant des mots indéchiffrables pour un jeune lecteur que dans les toutes dernières pages (exemple de phrases à recopier : “IL FAIT LE VILAIN”, “VOILA UN CADEAU”). Gestion de l’espace, là pour le coup ça me parle, travailler le sens d’écriture, travailler les alignements… et pour une bonne raison, ça fait déjà partie de la pédagogie Montessori ! Les activités se déroulent de gauche à droite, les manipulations favorisent l’ordre et l’alignement des objets. Ça, je valide en ajoutant son travail de groupement des objets et de gestion des espaces vides pour préparer le découpage en mots. Premier bon point, ouf !
Puis viens le temps des premiers tracés. Quelques zig-zag gribouillis puis, les boucles. Et là catastrophe pour mon loulou, il n’y arrive pas du premier coup. Le truc soit-disant le plus instinctif le mettrais en échec ? Mais mais mais, il a déjà écrit spontanément, juste en recopiant,son prénom en attaché. Seule la boucle du e le coince un peu (il a été spontanément chercher sa la lettre rugueuse juste avant pour savoir dans quel sens il devait tourner). Les ronds, check, c’est ce qu’il dessine le plus naturellement, c’est le fameux gribouillis du bébé (qui pour moi n’est pas une boucle, mais une spirale. Il suffit d’observer un bébé – ou un enfant qui s’énerve – pour le constater, non ?) Les traits, check. Les étrécies ? Check aussi, il sait écrite le U en lettres bâton. Ce ne sont que des suites de U après tout. Les ponts ? Première difficulté. Pas si simple. Il faut une petite gymnastique pour trouver le mouvement du pont (c’est juste un U à l’envers), mais après quelques tâtonnements, il pige le truc. Les boucles par contre c’est tout sauf simple. Alors loulou, tu fais des ronds et *en même temps* tu glisses ton bras. Spirale aplatie… gribouilllis qui commence à ressembler à des boucles trop serrées… alternance de boucles superposées et de quelques boucles libres… quelques jours passent et les progrès – et les boucles – sont là ! Mais on est très loin du mouvement naturel et instinctif. C’est le seul mouvement d’écriture qui à 4 ans et demi, nécessite un réel apprentissage. Le seul également qui ne figurait spontanément dans aucun dessin.
Là du coup on peut se poser la question de l’approche. Pour elle c’est le plus facile (de ce que je j’observe j’aurais tendance à penser que c’est le contraire) mais les résultats sont là, les enfants qui apprennent comme ça écrivent rapidement bien à ce qu’on dit. Peut-être que commencer pas le plus difficile entraîne au final un bien meilleur résultat que commencer par le plus facile ? Ou peut-être simplement que commencer par le plus difficile implique juste une plus longue période d’entrainement… une chose est sûre, nous allons continuer à travailler autour des boucles, qui sont au cœur de l’écriture cursive. Je ne pourrais déjà plus suivre strictement la progression Dumont (il a spontanément commencé à recopier les lettres de son prénom qui n’ont pas de boucles), mais je peux toujours essayer d’orienter un peu les activités que je propose (même si clairement, ce qui le motive c’est son prénom, c’est papa, maman, papi, mamie… les mots à forte valeur affective). Là je reste ouverte, pourquoi pas.
Le dernier point est la nouvelle calligraphie proposée. Pour moi, il y a du bon et du moins bon. Je reconnais qu’elle permet une fluidité et une rapidité dans l’exécution et j’envisage sérieusement de l’adopter pour moi même. Mais je me demande si un enfant en cours d’apprentissage n’a quand même pas besoin de visualiser la lettre avec sa petite boucle, pour en comprendre la nature et la structure. Je vais donc adopter un entre-deux : alphabet mobile et mots à lire seront en cursive standard, pour bien voir les petites boucles. Les lettres rugueuses de Balthazar que nous avons sont un peu entre deux : la boucle est là, mais non trouée. Je réserverais donc la simplification Dumont aux productions écrites, qui n’interviendront donc que dans un second temps, une fois la reconnaissance des graphènes au sein des mots déjà acquise, puisque qu’à son niveau/âge les productions écrites se font soit en alphabet mobile, soit en écriture bâton (puisqu’il est scolarisé dans le public).
Si on résume, même si je n’adhère pas vraiment, je ne rejette malgré tout pas en bloc. Il a du bon, il y a du moins bon. Malheureusement les cahiers d’exercices font partis du moins bon à mon goût… Comme pour les autres pédagogies, j’ai décidé de ne prendre que ce qui me semble judicieux et d’écarter le reste. En mixant du Montessori (la progression en lecture) et du Dumont (une fois qu’on passe à un écrit), on devrait pouvoir obtenir un résultat sympa !
J’arrive au bout de ce marathon… j’espère que mes choix et mes réflexions pourront vous éclairez et vous aidez dans votre propre réflexion. En aucun cas je n’ai écrit tout ça dans le but de convaincre, car contrairement à Mme Dumont, je ne pense pas détenir la réponse absolue. Je tâtonne, en toute connaissance de cause, j’observe et je m’adapte !
Edit :
Je me sens blessé par les nombres commentaire agressifs voir haineux que je reçois. Je ne comprends pas pourquoi mon article déclenche à ce point les foudres alors qu’au final je conclu sur un bilan seulement mitigé et je n’ai été choquée réellement que par un seul point dans cette méthode (en dehors de la violente faire à vouloir à tout pris normaliser la préhension du crayon) : à savoir qu’on demande à un enfant non lecteur de recopier mots et phrases qu’il ne comprends pas, et qu’on normalise ainsi la recopie de graphies vide de sens. J’entends que les résultats sont là, et je comprends tout à fait qu’on adhère lorsqu’on est partisan de la méthode globale. C’est d’ailleurs plus cette méthode globale elle-même que je rejette, la méthode Dumont ne faisait que s’appuyer dessus. La même démarche appliquée à des enfants déjà lecteurs me semble parfaitement cohérente, donc en primaire et en remédiation, je ne trouve rien à redire. Je ne rejette les cahiers d’exercices de maternelle qu’à cause de l’utilisation de phonème complexes dès la MS, réduisant la démarche d’écriture à quelque-chose de purement mécanique.
Exemple concret : ____ prends __ jouet sur ___ rayon. On demande à l’enfant d’écrire elle et deux fois le. Les mots à écrire sont simples mais le reste de la phrase ? Pourquoi ne pas choisir des mots plus faciles à lire comme ____ pose __ sac sur __ sol ?
Mixer le meilleur de Dumont et Montessori pourrait donner un résultat vraiment intéressant, c’est vraiment triste que Mme Dumont soit à ce point fermée vis à vis de cette pédagogique, et demande une adhésion complète et intransigeante à sa méthode, au lieu de laisser une place ouverte au dialogue et au mélange des genres.
Madame, je suis enseignante et à mon avis les cahiers, comme toute trace écrite, ne sont qu une finalité. Ce n est, à mon sens, pas à faire en début d apprentissage mais bien à la fin. Si votre enfant n y met pas de sens où n y arrive qu avec du mal ou pas du tout, c est parce que le très long travail avant cette trace écrite n a pas été fait. D ailleurs vous n en parlez à aucun moment. Quelles manipulations avez vous mis en place avant de passer au cahier pour les boucles par exemple ? (Puisque c est ce qui a l air de poser problème).
bonne continuation.
Il a 4 ans ! Pour moi je coller devant un bureau pour écrire est contraire à son bon développement. Les boucles nous les travaillons à la waldorf, avec le corps entier, dans des parcours, avec des rubans, des jeux. Le temps de l’écriture cursive arrivera bien assez vite… je suis peinée de voir tout ce que l’école lui demande dans les cahiers de lignes de graphisme et d’écriture sans avoir, pour le coup, mené le moindre travail préparatoire, car cela m’oblige à le “pousser” à la maison pour lui permettre de ne pas être se sentir échec face des exercices non adaptés à sa progression…
Je suis enseignante en PS et suis d’accord avec vous. Je m.inspire pour certaines choses de la méthode Dumont mais je pioche des activités un peu partout qui permettent à mes élèves de rentrer dan l’écriture. Je trouve vos remarques très intéressantes et justifiées. Une méthode vaut ce qu’elle vaut mais c’est aux personnes qui l’utilisent de se l’approprier et de la mettre en œuvre (ou pas) en observant les enfants individuellement. Après 32 ans de carrière, je ne me sens absolument pas « obligée » par quelques méthodes que ce soit !!!! J’adapte toujours à mon public!!! Continuez ainsi vous avez raison et à bas les puristes !!!!
Ligne de graphisme ???
Vous me prêtez cette pratique. Je la dénonce depuis toujours.
Il semblerait qu’il soit nécessaire de vous rappeler que l’écriture est porteuse de sens. Un enfant non lecteur qui recopie des phrases qu’il n’est pas en mesure de déchiffrer fait du graphisme pur. Et c’est très précisément ça qui m’a choqué dans votre approche : normaliser l’acte de recopier des mots qu’on ne comprends pas.
(Après relecture de l’article je ne trouvais pas ma référence aux lignes d’écriture… puis j’ai trouvé, c’est dans un commentaire. Je parlais de ses cahiers d’écriture de l’école ! Qui ne sont pas Dumont, qui ne sont rien du tout : il apprennent les lettres sans la moindre once de logique dans l’ordre de l’alphabet)
Très visiblement vous n’avez rien lu de ma méthode d’enseignement en général ni de ma méthode d’enseignement de l’écriture en particulier. Dommage ! Les échanges sont toujours constructifs.
Très visiblement vous avez rejeté Montessori sans avoir jamais pris le temps d’en lire les livres et d’en comprendre la démarche. Je vous invite à lire l’excellent ouvrage l’enfant et à vous penchez de plus près sur la méthode de lecture syllabique et sur les bénéfices qu’elle apporte pour l’enfant. Cantonner des enfants à des exercices qu’ils ne sont absolument pas en mesure de réaliser sans l’aide de l’adulte (comme lire la phrase “elle prends le jouet sur le rayon en tout tout début d’écriture) aura forcément un impact négatif sur l’autonomie, la confiance en soi et de ce fait la suite des apprentissages. La modification de la démarche est plutôt minine pour obtenir une progression cohérente, je vais donc produire mes propres documents d’entrée dans l’écriture, melting pot de Waldorf, Montessori et malgré tout un peu de Dumont. Si vous ne m’aviez pas agressée, prise de haut et demandée d’aller me faire soigner, j’aurais volontiers avancé main dans la main avec vous, gratuitement, pour concevoir des exercices à la croisée de nos deux mondes.
Oh ! Mince alors ! Je n’avais pas lu cela avant d’avoir répondu au premier article… la méthode ne se limite pas du tout aux livrets… la dernière édition du geste d’écriture est très claire en ce qui concerne la progression. N’avez vous que vos enfants en guise d’aventuriers de l’apprentissage ? Nous sommes tellement nombreux à adhérer à cette méthode d’apprentissage en tant qu’enseignants… ce qui rassemble pour chacun d’entre nous environ 25 élèves par an. Je n’envisage rien d’autre qu’un apprentissage formellement syllabique et tout dans la méthode Dumont permet de suivre cet apprentissage de la lecture. Vous parlez de votre magnifique expérience d’IEF, ne négligez pas nos magnifiques expériences d’enseignants, fruits des échanges avec Daniele Dumont.
Elle n’a pas toujours le même discours, mais en l’état, les compte-rendus d’expériences en milieu scolaire que j’ai pu lire sont pour moi édifiants. Des enfants de GS, sur la période Toussaint-Noël, se sont vus donnés comme exercices la recopie de phrases comportant des phonèmes complexes. Pour moi il s’agit là d’une démarche opposée au discours qui est pourtant tenu dans son livre, qui stipule bien que l’écriture est un acte porteur de sens, et n’est pas une simple calligraphie. Si demain on me demande de recopier un texte en japonais, bien que ce soit un texte, le fait que je ne soit pas capable de le *lire* enlève tout sens à la démarche d’*écrire*. On ne peut pas dissocier les deux apprentissages, et la compréhension devrait être un prérequis à l’acte d’écriture (ça l’est en Montessori, l’écriture passant en maternelle par un alphabet mobile, le codage/décodage est accessible à des enfants très jeunes). Pourquoi vouloir dresser des singes savant capables de calligraphier 6 à 7 lettres en attaché dès le début de la grande section ? Quel bénéfice dans leur développement ? A quel besoin cela réponds-il ?
Petite précision, ce n’est pas de l’IEF, mais du co-schooling, il va à l’école et c’est d’ailleurs source de pas mal de problèmes puisque dans une classe MS/GS il est amené à suivre le programme de GS alors qu’il n’a que 4 ans. Le principe de l’enseignant étant qu’il ne doit pas pénaliser les GS et que si les quelques rares MS du groupe n’y arrivent pas , c’est pas grâve. Sauf qu’un enfant à qui on demande de faire quelque chose va se mettre la pression pour le réussir, même si si ce n’est pas ce qu’on attends de lui…