…ou pourquoi je refuse de mettre des petites roues à un enfant qui sait déjà faire du vélo.
Je vais commencer mon récit par une petite anecdote. Quand mon fils avait 5 ans à peine, et qu’il s’ennuyait en voiture, il nous demandait de lui lancer des “défis”. Au début, on proposait petit, par exemple 5+3. Il a rapidement demandé plus dur, donc on a commencé à passer la dizaine, avec par exemple 7+4. Puis un jour il a demandé qu’on lui trouve un truc “super difficile”. J’ai donc lancé un 17+9 en me disant que ça allait l’occuper un moment. Il a répondu tac au tac “26”. Paniquée car je n’avais pas encore effectué moi même ce calcul que j’avais du mal à faire, j’ai compté sur mes doigts. Et je me suis dit “Attends, c’est pas normal, j’ai plus de mal que lui…”. Alors je lui ai demandé si il arriverait à m’expliquer ce qui se passe dans sa tête quand il calcule. Il m’a répondu très simplement depuis son siège auto “17+10=27 et 27-1=26”. J’avais l’impression d’être dans l’émission “des chiffres et des lettres”… il m’a bluffé.
Ce jour là mon horizon a complètement changé. Pour additionner, il avait fait une soustraction ! Il avait avancé plus loin pour reculer, afin de n’utiliser que des calculs tellement simples qu’ils ne demande aucun effort de réflexion. J’ai commencé à utiliser ses techniques, que je lui demande régulièrement et je me suis rendue compte au fil des semaines, des mois, que je pouvais commencer à me détacher de la représentation des chiffres sous forme de constellations de points (des dominos) que je me trimballais depuis la maternelle.
Puis il a continué l’école. GS, CP, début de CE1… La fluidité de ses calculs a commencé à décroitre. Il a commencé à se tromper sur des choses aussi basiques que 8+5. Etourderie, envie d’aller trop vite ? Peut-être… ou pas. Il a fallu réintroduire les “défis” pour travailler le calcul mental et remonter au niveau qu’il avait avant. J’avoue que ça m’a inquiété.
Puis est arrivé le jour des soustractions posées. Voulant bien faire, j’ai appliqué la méthode “à la mode” voulue par les grands pontes de l’EN et suivie par le corps enseignant à qui on a vendu le “cassage de la dizaine” comme la panacée en matière d’explications pour “comprendre” les soustractions.
Au début, tout se passe bien. Puis au fil des jours, on augmente la complexité des calculs, jusqu’à ce matin fatidique ou le cahier d’exercices (d’un autre éditeur, qui utilise lui la technique à l’ancienne) lui demande de poser 900-725. “Maman, comment je fais, je pas enlever une dizaine à zero ?”. Je regarde, je constate le problème, je tente de trouver un moyen d’écrire ce cas particulier. Pour voir si il a compris, je lui propose d’autres calculs avec le même principe. 6000-12. Il a besoin d’aide pour le résoudre mais semble comprendre. 300-52, il y arrive. Puis une petite intuition me dit de retester un cas normal, 20-12… et le voilà qui barre le zero pour le remplacer par un 9. Là je me suis dis “il est complètement perdu !”
J’appelle le papa à la rescousse, car même si sommes tous les deux ingénieurs, la tête en maths c’est lui (puisque moi je suis restée bloquée aux méthodes de l’école par constellation de points…). Il regarde, il hésite, il comprends le problème, il comprends la difficulté que représente une méthode qui a un cas général et un cas d’exception. Nous sommes d’accords, le verdict tombe. La méthode “en cascade” est une méthode dont la difficulté augmente selon la complexité du calcul à réaliser. Pour nous informaticiens, cela correspond à un mauvais algorithme dont il faut absolument se débarrasser. Si un gros calcul demande plus de ressources qu’un petit (avec la méthode en cascade on va faire de plus en plus de retenues simultanées, 60000000-1 va demander 7 retenues d’un coup), à un moment on arrive à la limite de ce qu’on peut stocker dans la mémoire de l’ordinateur. L’humain aussi à une mémoire de travail limitée. Si le calcul est à complexité constante (ce qui est le cas pour la méthode de conservation des écarts traditionnelle qui ne fait jamais plus d’une retenue à la fois), l’ordinateur va pouvoir faire tous les calculs imaginables, théoriquement jusqu’à l’infini, il aura juste besoin de prendre plus de temps.
J’ai donc demandé à mon fils d’oublier tout ce que je lui avait montré ces trois dernières semaines, en lui expliquant que la méthode “de débutant” avait atteins sa limite et que j’allais lui montrer ma méthode d’adulte. 3 exemples sur l’ardoise et il me calculait des soustractions à double retenues sur des nombres dans les dizaines de milliers. Cette méthode est vraiment très facile à expliquer : “si tu as besoin d’une dizaine, tu l’ajoutes et hop hop hop tu reportes tout de suite ton petit 1 de retenue en bas dans la colonne d’après”. Une règle unique qui marche dans tous les cas, sans exception.
J’ai commencé à me pencher sur la méthode que j’utilise depuis toujours sans jamais m’être demandée pourquoi. “Conservation des écarts“. Et me voilà à réfléchir à ce qu’est une soustraction. Une soustraction est un calcul de la différence entre deux valeurs, leur écart. Lorsque mon fils calcule de tête 63-14, il va dire que c’est comme 60-11, comme 50-1, 49. Il ne travaille pas avec des boites de petites billes qu’on ouvre pour “casser la dizaine”, il travaille lui aussi par conservation des écarts. Et ses raisonnements instinctifs, que je commence à apprendre à appliquer moi même, sont d’une puissance phénoménale…
Puis je me suis dit, après discussion avec son ancienne maîtresse, que je devais quand même lui expliquer au moins lui présenter, ce qu’on était en train de faire réellement. J’ai voulu sortir les perles et là il m’a dit “Maman, s’il te plait non , pas les perles, ça complique tout….” Tiens. Ok. Pourquoi pas. Jusque là son instinct a été meilleur que les méthodes de l’école alors je devrais l’écouter. Je change mon fusil d’épaule et je dessine une bande numérique au tableau. Je lui demande ensuite de poser 23-12 et 33-22 pour voir ce qui se passer si on rajouter des dizaines. Il me dit péremptoire “Le deuxième fera 10 de plus.” Il calcule. Ses yeux s’arrondissent… “Oh, maman, ça fait pareil !”. Je souris du tour que je viens de lui jouer et je lui explique donc qu’une soustraction, c’est une différence. Et je reporte les calculs sur la frise numérique sous forme de “bonds“. Si j’avance de 10 unités de plus, mais qu’ensuite je recule d’une dizaine de plus… j’arrive exactement au même résultat qu’avant. Il réfléchit un peu et me demande “Alors pour 64-13 je peux faire 65-12 ?”. Je lui demande faire attention, si il veut faire ça pourquoi pas, mais il doit faire attention bien décaler dans le même sens ses deux nombres sur la bande numérique pour que l’écart reste le même. Il réfléchit un instant… “Donc 65-14”. Une fois de plus, il m’a prouvé qu’il pouvait aller beaucoup plus loin que ce à quoi je m’attendais (je lui ai dit malgré tout de préférer sa façon de calculer habituelle, car le risque de se tromper carrément de calcul à faire est assez grand avec cette astuce).
Hier soir je n’arrivais pas à dormir. Et je posais des soustractions dans ma tête, avec cette toute nouvelle révélation de ce qu’est réellement une soustraction : un écart. Et d’un coup j’ai compris que j’avais le droit de sortir du cadre. Que toutes mes barrières, mes empêchements, mes entraves, n’existaient pas dans les mathématiques. Si je veux calculer 26-19 j’ai parfaitement le droit de dire que c’est comme 27-20, donc 7. Je ne suis pas en train de manipuler des perles ! Je manipule des nombres. Et même si c’était des perles… qu’est ce qui m’interdit d’en poser une de plus sur le plateau avant d’en retirer une de plus ? En fait, sans les difficultés imaginaires qu’on m’a enseigné à l’école, calculer de tête n’est pas du tout insurmontable ! Au lieu d’escalader, je peux contourner la difficulté.
J’ai vécu trois décennies à penser que les maths c’était trop compliqué pour moi et que j’étais incapable de calculer de tête. Trois décennies à essayer de faire demi-tour dans une place de parking sans sortir de la petite bande blanche dessinée au sol, comme si c’était une limite infranchissable, parce qu’on m’avait fait croire que les maths étaient un nombre limité de billes rangées dans des petits récipients…
Les maths, c’est grand, c’est fluide… et c’est même facile.
Chers parents, chers professeurs, chers dirigeants de cette nation, aidez les enfants en leur donnant accès à des méthodes qu’ils pourront garder toute leur vie sans avoir besoin de les désapprendre. Car si on remets de petites roues à un enfant qui sait faire du vélo, il ne pourra plus aller aussi vite. Et si on lui impose ça trop longtemps il pourrait simplement arrêter d’aimer faire du vélo…
Pour pas mal d’enfants, le déclic de la fluidité des maths comme un continuum, un déplacement le long d’une bande numérique, n’aura pas lieu en CE1. Pendant quelques années ils vont sûrement appliquer une recette de cuisine de soustraction sans la comprendre pleinement. Il faudra peut-être attendre le CM1 ou le CM2 pour qu’ils sachent pourquoi ils font les choses de cette manière. Mais quel est le problème ? On ne va pas dire à un enfant de petite section “Toi rester sur chaise” parce qu’il ne comprends ni les principes de grammaire ni les règles de conjugaison qui régissent la phrase…
C’est en considèrent un enfant comme intelligent qu’il le devient. C’est parce qu’on parle à un bébé avec des mots qu’ils ne connait pas et qu’il ne comprends pas qu’il apprends à parler. Il faut leur faire confiance ! Et pour les quelques-uns qui même une fois adultes n’arriveront toujours pas à comprends le fonctionnement des mathématiques, ils y auront gagné une méthode simple, efficace, qui leur permettra de mener à bien n’importe quel calcul. Est-ce à ce point une perte ? Car en l’état actuel, il auront effectivement bien compris que compter c’est déplacer des petites billes (vision partielle de la réalité qui entrainera inévitablement des difficultés à conceptualiser les nombres négatifs, les fractions et les nombres décimaux…) mais qui en plus auront besoin de prendre une calculatrice dès que le calcul comportera plus d’une retenue.
Les grands mathématiciens adultes n’utilisent pas de billes. Les grands mathématiciens adultes ne pose pas avec la méthode en cascade. Nos enfants méritent le meilleur, même si il sont encore des enfants <3
merci pour cet article. effectivement moi-même je retrouve un certain plaisir avec les mathématiques depuis que nous sommes en ief avec la méthode waldorf steiner.
Je suis là par curiosité pédagogique. Et ça me conforte dans mon choix d’utiliser la méthode proposée par les Frères Lyon car l’écart est vraiment le point de départ pour la soustraction avec beaucoup de manipulation mentale avant de passer à l’écrit.