Je mûris cet article depuis longtemps, très longtemps… C’est un sujet extrêmement important à mes yeux, mais qui ne semble avoir été abordé nulle part, par aucun pédagogue… Au fil du temps, je me suis aperçue que l’immense différence entre mon enfance et l’enfance des enfants d’aujourd’hui réside dans l’apparition d’un perfectionnisme qui n’avait pas cours il y a trente ans.
Les jouets, les dessins animés, les livres, même la nourriture : tout est millimétré, standardisé, normé, lissé… “parfait“. Quand j’étais enfant, Petit ours brun avait les oreilles pas toujours alignées et le texte des livres étaient encore manuscrits. Quand je lisais ça, j’avais la vague et diffuse impression que c’était le prolongement de ce que j’étais capable de faire. Que c’était une suite logique, que tout celà était… humain.
L’avènement du numérique et de la production de masse a retiré cette part d’humanité dans les créations. Non pas que les dessinateurs soient moins talentueux qu’avant, bien au contraire ! Tout a atteint un tel niveau de perfection qu’il ne laisse plus aucune place aux petites variations. Cet environnement induit, malgré nous, une pression incroyable sur la jeune génération dont les productions sont pleines de spontanéité, de vie et d’approximations, qui sont perçues, même par des enfants encore très jeunes, comme des “erreurs“.
J’aime dessiner. Je dessine relativement correctement, mais avec une recherche de justesse, une rigueur, qui entraîne malencontreusement une symétrie toute mathématique. Quand mon fils et moi dessinons le même sujet, je trouve ses dessins sincèrement plus vivants que les miens et donc, plus beaux. Je reprendrais une citation de Pablo Picasso que j’aime particulièrement “On met longtemps à devenir jeune. J’ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant.“
Les objets produits en masse, usinés par des robots, la nourriture de grande distribution, les dessins et les polices d’écritures basées sur des courbes vectorielles mathématiques… qu’est ce qui nous rattache encore à notre humanité et notre unicité dans notre quotidien ?
Il est urgent de revenir à une vie faite d’imperfections et d’erreurs, d’objets faits main, d’objets uniques, avec le charme du réel. La philosophie Waldorf a bien compris l’importance de la création et de l’art dans le quotidien. La pédagogie Charlotte Mason, qui prône un enseignement traditionnel, est également beaucoup plus ancrée dans le dessin et l’écriture manuscrite. Certains supports Montessori, comme ceux illustrés par Eve Hermann, sont aussi de bons candidats à plus de “fait main” dans l’univers visuel des enfants (oui, on aime beaucoup les dinos par ici…)
Ce changement ne doit pas se produire uniquement à l’échelle des enfants, mais aussi pour les parents. Fabriquer des jouets ou coudre des tenues complètes est quelque chose d’un peu ambitieux quand on a, comme moi, grandi à une époque où tout cela s’était déjà perdu… mais rien n’est inatteignable si nous acceptons, nous aussi, une petite dose d’imperfection. Un premier pas, tout simple, consiste à se tourner vers des objets artisanaux, qui ne sont d’ailleurs pas toujours plus chers que leurs équivalents industriels.
Si en tant que graphiste j’ai longtemps été tentée de mettre à profit mes compétences pour proposer des supports maison de qualité semi-professionnelle, mais j’en suis revenue. Ce qui explique aussi pourquoi le blog s’est un peu tari… Je privilégie désormais les exemples “minute“, réalisé à main levée avec toute la candeur d’un premier jet. Cela me demande un réel travail sur moi, car je suis de nature perfectionniste et que j’utilise l’outil informatique depuis que je suis haute comme trois pommes. Mais il en va carrément de la santé mentale de mon enfant, qui a trop souvent explosé en pleurs à la fin d’un dessin ou d’un bricolage parce qu’il était “raté“.
Revenons à l’écriture manuelle, aux croquis gribouillés, aux supports pédagogiques imparfaits. Parce que plus la différence entre ce que nous érigeons en modèle et ce qu’on leur demande de produire est grande, plus le découragement, lui aussi, se fera grand… au risque de ne même plus vouloir essayer.
Laissons plus de place à l’approximatif et à la spontanéité !